Un billet pour Ailleurs n°12 – Northern Ireland : Belfast, la Chaussée des géants, Derry

Après une semaine passée dans le Wicklow, nous partons à la découverte du nord du pays. Nous passons du « côté obscur », du côté anglais.

Comme si les éléments voulaient qu’on vive ce moment dans la plus intense des intensités, le temps se met à la pluie. Une pluie féroce, incessante, glacée. Qui s’insinue dans vos manches, dans vos oreilles, dans vos cœurs et dans vos veines.
Je voulais de l’Irlande, j’en ai eu.

Les miles refont leur apparition sur les panneaux, les livres sterling sur les affiches.
Comme c’est étrange, cette double identité, cette séparation brutale.


En Irlande du Nord, s’habiller autant en vert, et de ce vert si vert, a du sens.
C’est une revendication claire. Muette mais obstinée.
Autant vous dire que le manteau de pluie que j’ai dû m’acheter, je l’ai choisi aussi vert que les Shamrocks des sentiers du bord de mer.

Mais commençons par le commencement. En venant de Greystones, Belfast, donc.
Grâce au temps affreux, Belfast m’a déprimée pendant de longues heures. Ce n’est pas de sa faute, la pauvre a sûrement de très bons côtés, mais par temps de pluie, tout est gris là-bas, gris, gris. Même le Crown Liquor Saloon (fermé en ce dimanche) fait grise mine, malgré sa devanture jaune à faire pâlir d’envie les boutons d’or.

En fait autant le savoir, presque tout est fermé le dimanche à Belfast.

Nous trouvons un bar/pub/restaurant/lounge qui ne marquera pas les esprits, et dont je me passe donc d’indiquer le nom et l’adresse. Son seul énorme point positif était d’être ouvert alors que nous étions affamés. Nous commandons un Ulster fry, le petit déjeuner typique avec la petite touche du nord : le pain de mie frit et les potatoe farls frits aussi. Spécificité du jour : tout est frit dans la même huile que les fish’n chips, ce qui fait que notre petit dej’ a un goût de poisson. Yerk. Dommage, on aurait pu se régaler, sans ça…

L’oeuf est bien cuit, jaune coulant, rashers de bacon pas trop grillés, baked beans, champignons rôtis. Le fameux pain frit, qui serait franchement bon sans ce relent de vieux cabillaud, et les potatoe farls au fond (sortes de pancakes à la pomme de terre) qui eux aussi auraient gagné à avoir juste un goût de pancake et de beurre.

Malgré la tristesse qui s’est insérée dans mes pores au cours de cette journée, je ne peux que vous conseiller de faire un détour par Belfast, surtout si vous allez à la Chaussée des Géants, rien que pour l’Ulster Museum. A ceux qui voyagent avec des enfants, ce musée est l’un des meilleurs qui m’ait été donné de visiter ! Il prend la première place, devant le MET new-yorkais (qui reste cependant indétrônable si on est sans les enfants. Oui, j’ai un classement des musées du monde, désolée je suis instit ! :)) En ressortant, j’étais à nouveau toute pleine d’allant :).

« Il y a des trucs qui jaillissent de partout »
Dans le langage de mes filles, ça signifie une muséologie très innovante, très agréable. Un agencement ingénieux, quoi ! 🙂

Trois en un : une aile histoire naturelle/zoologie, une aile historique (avec une exposition très riche sur l’époque des Troubles irlandais, bien entendu, et une momie incroyable dans la partie egyptienne), une aile Beaux-Arts couvrant les arts décos.

Les filles ont adoré les petites salles où les enfants pouvaient toucher à tout !

… écrire leur prénom en hyéroglyphes…
… broyer des graines et en faire de la farine avec des pierres polies…
… se déguiser avec des habits du XIXème siècle…

Bref, tout le monde était content.
Surtout que l’entrée du musée est gratuite ! (don souhaité, pour apporter son soutien au musée).

Nous n’avons pas trop traîné, car un site fabuleux et non des moindres nous attendait.

The Giant’s Causeway. La chaussée des Géants.

Attention aux « marches » bien noires, elles sont battues par les vagues, et donc très glissantes…

Selon la légende, deux géants étaient rivaux : l’un était Irlandais, l’autre Ecossais.
Un jour, l’Irlandais voulut aller défier son voisin. Malheureusement, l’Ecossais était bien trop grand, la défaite était sûre.
Mais l’Irlandais, rusé comme un leprechaun, eut une idée de génie. Il revêtit des langes de bébés, se coucha sur un immense berceau formé par la pierre, et demanda à sa femme de le présenter à l’Ecossais comme étant le fils du géant Irlandais.

L’Ecossais, en voyant cet énorme bébé, trembla de peur et se dit : « Mais quelle taille doit donc faire son père pour avoir eu un enfant si grand ? » Furieux de se savoir battu d’avance, il quitta les lieux mais non sans avoir auparavant laissé libre cours à sa colère en détruisant le berceau de pierre. Ainsi naquit la Chaussée des Géants.

Une version plus scientifique dit que la roche basaltique, alors roche liquide brûlante de 1200°, a un jour subi un refroidissement soudain, et s’est fendillée en formant ces formes octogonales parfaites.

Quelle que soit la version que vous choisirez de croire, l’explication est de toute façon « gigantique » et incroyable… Surtout quand on se retrouve face à l’Orgue de basalte, qui doit bien mesurer au moins 10m de haut !

L’avantage du temps pourri, c’est qu’il y avait très peu de monde.
Un vrai bonheur d’être presque seul au monde dans un endroit aussi magique.

L’inconvénient, c’est qu’on avait beau avoir trois pulls et un Kway pour les filles, on est rentrés trempés comme des soupes. Mais heureux comme rarement nous l’avons été. Nous étions tous les quatre, entre roche et océan, face à la nature qui semble plus rude et moins prête à faire des compromis dans ce coin du monde.

Bizarrement, cet endroit m’a rappelé la Nouvelle-Calédonie. Son côté abrupte, qui ne se laissera pas dompter. Sa farouche indépendance malgré les drapeaux mal-aimés qui flottent sur les bâtiments officiels.

Nous avons grignoté des Mc Vities au chocolat noir à l’abri des roches. Enfin, à l’abri, c’est un grand mot. Bu un godet de thé chaud (toujours avoir un thermos de thé, quand vous vous baladez en Irlande… Le seul conseil que j’oserai vous donner ! :)). Des pièces étaient coincées entre les pierres. Nous avons ajouté la nôtre, on ne sait jamais.

Quand nous avons retrouvé la voiture, les vitres se sont embuées à notre entrée. Un deuxième godet de thé pour tout le monde, dans notre petit cocon de buée, de vapeur de breuvage chaud et de cheveux humides. On berçait en nous le sentiment d’avoir vécu un moment hors du commun, extraordinaire. On n’avait plus envie de partir.

Sur le chemin du retour, nous avons croisé le Dunluce Castle.

Il avait l’air hanté par des fantômes prêts à attraper par la cheville les petits touristes tout trempés que nous étions. Les filles ont frissonné de plaisir et de peur. Doudou, c’était juste le froid. Enfin, c’est ce qu’il a dit.

C’est le froid et la laine mouillée de nos pulls qui ont fini par avoir raison de nous, et qui nous ont poussés vers notre Bed and Breakfast à Coleraine. On avait choisi le Brae Mar B&B pour les commentaires dithyrambiques sur son traditionnal breakfast (gratuit en plus).

L’accueil était rugueux (nord irlandais, on pourrait dire), les chambres sentaient un peu le tabac froid (avec du déo pardessus, ouais, pas top). MAIS : il y avait une baignoire à remous qui s’est révélée nirvanesque après cette journée si froide et humide, et en effet, le petit déjeuner était largement délicieux !

Cette fois, la friture a été faite dans un bain d’huile tout neuf. C’était bon 🙂

Notre voyage a continué par une visite à Derry. Londonderry, sur la carte anglaise. Derry, sur la carte irlandaise. Selon le nom que vous utilisez, vous indiquez de quel côté vous vous situez.

Derry a été un choc, un coup de poing dans le ventre.
L’entrée du quartier catholique, le Bogside, reste marquée de cette inscription, autrefois écrite à la hâte sur le pan de mur d’une maison, maintes fois recourverte de peinture par l’armée anglaise.

Aujourd’hui, la maison n’existe plus, seul ce pan de mur reste. Plus personne n’ose le recouvrir de peinture.

Les artistes du Bogside se sont exprimés sur les murs des maisons environnantes. Le Bloody Sunday ne s’effacera jamais.

Le 30 janvier 1972, des centaines d’habitants du Bogside manifestaient pour les droits civiques, contre les emprisonnements sans jugements, qui avaient un peu trop cours à cette époque envers les « terroristes » Irlandais catholiques. L’armée anglaise (une troupe de parachutistes) a ouvert le feu sur une foule pacifique, tuant quatorze hommes, dont sept adolescents. Certains sont morts en voulant protéger de leur corps leurs amis ou parents. Tous ont été abattus sous les yeux de leur famille, de leurs proches, de leurs amis.

Il faudra attendre le 15 juin 2010 pour que le gouvernement anglais reconnaisse qu’une erreur avait été commise et présente ses excuses. Jusque là, le discours officiel étaient que les manifestants étaient des terroristes, abattus pour la protection des citoyens anglais.

Museum of Free Derry

On ressort du Musée du Derry Libre complètement sonnés.
J’ai si longtemps étudié les mouvements pour les Droits Civiques aux Etats-Unis, et pourtant j’ignorais que tout proche de nous d’autres communautés avaient autant souffert de la ségrégation. A Derry, les quartiers catholiques et protestants sont encore bien séparés. Les deux communautés essaient de trouver un terrain d’entente malheureusement les attentats ou du moins les tentatives de l’IRA n’aident pas à apaiser les tensions.

Le reste de la visite de Derry se fait dans l’ombre du Bogside, dans la tension de l’orange et du vert qui s’opposent.

Le quartier des artisans

Maghaberry est une prison nord irlandaise. On frissonne en lisant le message inscrit sur le mur des remparts.

L’église St Augustine

Comment revenir d’Irlande sans se sentir profondément changés ?

 

 

 

 

 

 

 

À propos de Véro

Maman, maîtresse et cuisinière. Ce blog suit mes aventures culinaires depuis 2006. Bordeaux, Java, Nouméa, tout ça dans ma cuisine ! Cuisine du monde, cuisine de grand-mère, cuisine du coeur... Bienvenue !
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10 réponses à Un billet pour Ailleurs n°12 – Northern Ireland : Belfast, la Chaussée des géants, Derry

  1. bergeou dit :

    J’avais déjà envie d’aller en Irlande, tu me donnes encore plus envie. Des bises

  2. Tout est intéressant
    Je te souhaite un bon lundi, il commence pluvieux et gris chez moi
    Valérie.

  3. Val dit :

    D’habitude en lisant tes billets, je suis affamée!
    Là, j’ai une subite envie d’évasion, de falaises, de châteaux hantés et de « bousculade »émotionnelle!

  4. Smart05 dit :

    Salut Véro

    j’ai lu avec plaisir ton post de Belfast … C’est un grand regret de n’être pas allé jusqu’ en Irlande du Nord, on touche du doigt dans ces lieux, j’imagine, la dureté de la répression anglaise, qui s’exerce sur le peuple irlandais depuis des siècles… Le fantôme de Cronwell, de sinistre mémoire, erre toujours en ces lieux semble t il !
    La chaussée des géants est un site extraordinaire assurément, merci de ce partage 😉
    As tu ou visiter Stonehenge ? C’est là aussi un lieu magique …

  5. Maïlys dit :

    j’étais complètement avec vous grelotant dans la voiture ^_^
    super voyage! j’ai envie de voir cette Irlande!!!

  6. Véro dit :

    @ Bergeou, merci ma poulette, bisous à toi aussi !
    @ Valéroe, merci. Ici aussi on a passé la majeure partie de la journée sous la grisaille ! Bizarrement j’aime mieux le mauvais temps en Irlande que chez moi à Bordeaux ! 🙂
    @ Val, ça, c’est sûr, on est bousculé, là-bas…
    @ Smart05, non, on n’a pas eu le temps d’aller à Stonehenge. Mais on a l’intention d’y retourner un jour ! 🙂
    @ Maïlys, tu as senti comme on était bien ? Bizarre, hein, alors qu’on était trempe et qu’on sentait le moisi ! 😀

  7. emiglia dit :

    Wow! J’ai déjà visité la république, mais jamais l’Irlande du Nord. Ca a l’air super joli, malgré le temps… quelle chance d’y être partie !

  8. marithe dit :

    Nulle besoin d’aller en Irlande,tes photos et tes commentaires nous transportent.BRAVO

  9. gracianne dit :

    La chaussee des geants – ce nom la m’a toujours fait rever. Un jour j’irai aussi m’acheter un cire vert.

  10. Véro dit :

    @ Quel plaisir de te relire par ici Gracianne. Oui, le ciré vert t’irait bien aussi, je pense. 🙂 Bises madame

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