Restaurant la Kuzina et ses pibales, Bordeaux

Il y a deux semaines j’ai été invitée à découvrir les pibales au restaurant la Kuzina.
Les pibales (nom que l’on donne dans le Sud Ouest aux civelles, les bébés anguilles), c’était pour moi :
1) répugnant
2) un met du coin aussi peu ragoûtant que la lamproie
3) en voie de disparition, de toute façon, on n’y touche pas
4) impossible que j’en mange.

La curiosité l’emportant sur le reste, j’ai accepté l’invitation pour voir ce que je pourrais en apprendre. Je ne suis pas déçue de l’avoir fait, et d’en savoir plus aujourd’hui sur ce produit un peu légendaire à mes yeux. Vous savez, ces produits dont vous avez entendu le nom, mais que vous n’avez jamais vus en vrai, et encore moins goûté, mais vous savez que tout le monde en raffole.
Enfin bref. J’ai testé pour vous, la pibale ! et par la même occasion un délicieux restaurant de poissons sur Bordeaux, la Kuzina.

Ma première rencontre avec les « pibales », ce fut en réalité avec de fausses pibales, les gulas que l’on trouve partout dans les bars à tapas espagnols (vous vous rappelez la balade au Mercado San Miguel).  A Madrid et à Sevilla, partout on trouvait des tartines recouvertes de ces petites choses poêlées à l’huile d’olive et à l’ail. Ces gulas sont en fait du succédané, une sorte de surimi fait avec de la chair de morue, sur lequel les espagnols se rabattent car la civelle est un produit rare, extrêmement cher. 300€ le kilo, et encore faut-il pouvoir en acheter !

C’est Jean-Pierre Xiradakis, le chef de l’institution bordelaise la Tupina, qui nous a accueillies (avec ma copine Bergeou) et nous a tout de suite mises au parfum : des pibales, aujourd’hui, on ne peut en acheter nulle part. La pêche pour la consommation et réservée aux restaurateurs. Comme pour tout produit rare, il se livre aujourd’hui un vrai marché noir autour de ces petites pibales, avec une flambée des prix comparables à celles des ortolans à une époque lointaine.

Imaginez la scène : moi, petite niaise venue du Pacifique, face à ce gars au fort accent du Sud Ouest, avec à ses histoires de l’ancien temps et de la cuisine d’avant. Xiradakis nous raconte les pibales en ragoût, en sauce blanche de sa grand-mère, les omelettes au coin du feu… Il nous raconte comment on ramassait les civelles par kilos, « il suffisait de plonger le filet et il remontait plein à ras bord ».

(JP Xiradakis à gauche, JM Labrousse à droite)

Jean-Michel Labrousse, président du Comité Départemental des Pêches Maritimes et des Elevages Marins de Gironde, nous rejoint ensuite. L’histoire de la pibale devient limpide. Les anguilles pondent dans la mer des Sargasses, de l’autre côté de l’Atlantique. Portés par le Gulfstream, les alevins mettent trois ans pour arriver jusqu’à nos côtes françaises. Longtemps foisonnantes sur les rives de la Garonne, les pibales sont devenues en voie de disparition à cause des pesticides, des barrages, des produits toxiques rejetés dans les rivières puis dans les estuaires par les usines, et de la surpêche aussi, sans doute. Aujourd’hui, la pêche est autorisée mais est devenue extrêmement réglementée. 50% des prises sont réservés au repeuplement des rivières dans toute l’Europe. Chaque pêcheur achète une licence, dont une partie de la somme est reversée à l’Assosiation de Repeuplement Anguille de France.

Espoir : petit à petit, les anguilles repeuplent doucement les rivières. La saison de la civelle (qui se situe en Gironde entre le 15 novembre et la mi-mars), a été particulièrement prodigue cette année : pour la première fois depuis longtemps, le quota de pêche a été atteint début janvier.

Je suis assise, je bois un verre de vin en face d’eux. La nénette férue d’écologie entend le discours de la tradition, de l’ancien temps, des trésors qu’il ne faut pas perdre. Je trouve cela émouvant…  En effet, je trouve qu’il y a des histoires qu’il faudrait pouvoir toujours raconter.

Vient la dégustation. Et arrivent les pibales. Encore vivantes !
Je me rappelle pourquoi je ne voulais pas en manger.

Xiradakis fait chauffer de l’huile d’olive, dans laquelle il jette des rondelles d’ail, du piment d’Espelette. Puis une grosse poignée de pibales, mais pas vivantes, celles-là. Sel, poivre, une deuxième rasade d’huile d’olive.


C’est prêt.
Je suis venue pour goûter, je me lance !
Vous savez quoi ? C’est absolument délicieux. Très fin, juste mis en valeur par l’huile d’olive, l’ail, le sel et le poivre.  Je n’en reviens pas, c’est délicieux.

Puis il nous prépare la même chose, version succédané (rapport à la rareté du produit), mais tout de même délicieux : de très très fines lamelles de calamars, cuisinées de la même façon (cuisson très rapide, pour garder un calamar très fondant). Moins fin, certes, mais que c’est bon ! Pour le coup, ça, j’en referai !

Après cette petite mise en bouche, nous nous dirigeons vers la Kuzina, où un succulent déjeuner nous attend. Je connaissait la Tupina, qui propose une cuisine bien du Sud Ouest plutôt axée sur la viande, je découvre la Kuzina, plutôt orientée poisson (même si chacun des menus propose aussi une viande).

En discutant poissons, cuisine, voyages (la Kuzina est teintée d’influences grecques, car la famille du chef y a résidé), nous dégustons des plats simples, mais goûteux, élaborés avec de beaux produits, de qualité, frais. On se régale…

Tzatiki (yaourt aux herbes et huile d’olive) en amuse bouche, avec du bon pain frais.
Esturgeon d’Aquitaine poêlé aux raisins. Encore une première pour moi car je n’avais jamais goûté d’esturgeon ! La chair est assez ferme mais tout de même moelleuse, c’est très très bon. Accompagné de trois petites timbales encore une fois simples, mais bien réalisées et délicieuses :

Purée pomme de terre et céleri, légumes braisés (chou, endives, fenouil, je ne suis plus sûre… pourtant c’était parfait, les légumes étaient encore juste croquants comme j’aime)

Pommes de terre boulangères, cuites au bouillon puis gratinées. Miam.

Un bon riz au lait, onctueux, aux amandes concassées.

Vous l’aurez compris, j’ai passé un excellent moment auprès de JP Xiradakis, ce chef bien du Sud Ouest et sa gouaille si exotique (pour moi ^^). Un grand merci à lui et à M. Labrousse (et à Jérémie :-))

A la Kuzina, menus à 21, 35 ou 50€. De beaux menus, qui font envie.
Les pibales restent réservées à un public au porte-feuilles suffisamment garni, mais valent le coup si vous voulez goûter à ce produit d’exception. Comme ils le disent eux mêmes :

À propos de Véro

Maman, maîtresse et cuisinière. Ce blog suit mes aventures culinaires depuis 2006. Bordeaux, Java, Nouméa, tout ça dans ma cuisine ! Cuisine du monde, cuisine de grand-mère, cuisine du coeur... Bienvenue !
Cette entrée a été publiée dans Adresses gourmandes, Bordeaux, Cuisine Metisse, Cuisine par pays, Douce France, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Restaurant la Kuzina et ses pibales, Bordeaux

  1. C’est effectivement la meilleure façon de préparer les civelles, bien longtemps que je n’en ai pas mangé hélas, et je me suis fait avoir en achetant trop rapidement un bocal de succédané à Séville, le faible prix aurait dû m’alerter…

    Je cuisine également le calamar de la même façon, un truc que j’ai goûté à Biarritz la première fois. Quand c’est fête, j’y ajoute un peu de chorizo…

  2. Isabelle Revol dit :

    Je pense que je vais essayer avec le calamar,
    l’article est sympa, donne envie de découvrir,
    mais au passage, on ne se traîte pas de niaise même quand on vient du Pacifique …on n’en sait des choses nous aussi!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *